La fontaine et la Statue de la Liberté
En 1881, les riverains de la place Picard présentent à la municipalité une pétition en vue d’ériger une fontaine monumentale en remplacement de celle mal commode dont les usagers se plaignent depuis fort longtemps : «
il existe place Picard une borne-fontaine qui encombre le trottoir.
L’hiver, elle est la cause d’accidents et lorsqu’il glace, les chutes
sont fréquentes et dangereuses... »
En 1886, les habitants du quartier des Chartrons lancent une souscription publique et s’adressent au sculpteur Bartholdi, en sollicitant une réplique réduite de la Liberté éclairant le monde, qu’il s’apprêtait à installer dans la baie de New York.
Le sculpteur donne son accord à la réalisation de ce projet, et cède gracieusement un modèle de 2,85 m de haut,
laissant à la Mairie la charge des seuls frais de fonderie. Bartholdi
prend également la décision de venir en personne reconnaître le cadre
dans lequel son œuvre sera implantée, et passe à la fin du mois de
septembre 1886 à Bordeaux avant son départ à New York, où se préparent
les festivités pour l’inauguration de sa statue monumentale sur l’île de Beldoe.
L’idée reçoit un accueil favorable auprès de la presse ainsi que du public, et apparait comme « le
moyen de remplacer par une œuvre durable, d’un grand sentiment et de
grande valeur artistique l’arbre symbolique dont l’existence est
précaire ».
Le projet de fontaine adopté par le conseil municipal ne rencontre qu’un seul opposant en la personne du conseiller Albert Royer : «
Il y a trop de choses utiles qui restent dans l’ombre pour qu’on puisse
consacrer de fortes sommes à des choses qui n’ont absolument aucune
utilité ». Notons que la souscription n’avait rapporté que 2000 fr.
et les 40 000 francs manquant restaient donc à la charge de la ville de
Bordeaux...
La fontaine officiellement inaugurée le 28 avril 1888 par le président Sadi-Carnot, aura une existence bien courte. A la demande du gouvernement de Vichy, et sous la pression de l’Occupant, La Liberté de Bartholdi, sacrifiée sur l’autel de la capitulation, est déboulonnée en décembre 1941.
Comme cinq autres œuvres -1- de bronze
arrachées au paysage urbain cet hiver 1941, Miss Liberty, ainsi que les
éléments décoratifs de bronze qui ornent le socle, prennent alors la
direction de fonderies françaises, qui avaient en charge l’approvisionnement de l’industrie militaire allemande -2-.
Fort de son caractère allégorique universel, de très nombreuses répliques du monument ont été érigées en France depuis son inauguration en 1886, mais seules les villes de Bordeaux et Saint-Cyr-sur-Mer l’associèrent à une fontaine.
1 - Bustes de Léo Drouyn par G. Leroux et Léon Valade par
C. Malric ; Statue du président Carnot par E. Barrias ; Monument à
Maxime Lalanne par P. Granet ; statue de Louis XVI par N. Raggi.
2
- Alors que les statues ne sont pas toutes encore enlevées, le
gouvernement de Pétain fait savoir au préfet de la Gironde que ses
envois de bronze sont insuffisants. C’est ainsi qu’en 1943 dix autres
statues de la ville font l’objet d’un deuxième envoi à la fonte. Parmi
elles, le célèbre Monument aux Girondins, qui sera retrouvé intact à la
fin de la guerre.